ORGANISATION DES NATIONS UNIES

À quand une femme à la tête de l’ONU ?

L’élection du prochain secrétaire général de l’ONU aura lieu en 2016, et beaucoup estiment que c’est au tour d’une femme de diriger l’organisation internationale.

Le « Groupe d’amis en faveur d’une femme secrétaire générale de l’ONU » regroupe 42 États, dont le Japon et l’Allemagne, deux acteurs importants au sein de l’Organisation. Après 70 ans d’existence, disent-ils, il serait temps qu’une femme accède à la tête de l’ONU.

Les revendications de ces 42 pays s’inscrivent dans un mouvement plus large qui réclame davantage de transparence dans le processus de sélection du secrétaire général, processus qui, historiquement, se déroule derrière des portes closes.

Aucun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité n’a appuyé officiellement leur initiative, mais le Royaume-Uni a fait savoir qu’il trouvait l’idée d’une candidature féminine intéressante. De son côté, la Russie a déclaré que le sexe d’un candidat était secondaire et que « la discrimination à l’endroit des hommes était tout aussi inacceptable ».

DES CANDIDATURES PRESTIGIEUSES

Depuis le début de 2015, au moins deux campagnes pro-femme ont été lancées en vue de l’élection du successeur de Ban Ki-moon.

La « Campagne pour élire une femme secrétaire générale de l’ONU » est dirigée par Jean Krasno, Fellow à l’International Security Studies de l’Université Yale. Avec une quinzaine de femmes à la feuille de route impressionnante, elle propose une liste de 30 candidatures prestigieuses. On y retrouve les noms de trois Canadiennes : Louise Arbour, Louise Fréchette et Michaëlle Jean. Les noms de Christine Lagarde, Angela Merkel et Michelle Bachelet figurent également dans cette liste.

« Nous discutions de cette idée depuis plusieurs années déjà, explique Jean Krasno, jointe par La Presse. En février dernier, nous avons décidé que c’était le bon moment pour lancer notre campagne.

« Les femmes représentent plus de la moitié de la population mondiale et jamais la candidature d’une femme n’a été sérieusement envisagée pour le poste. Le moment est venu. »

— Jean Krasno, Fellow à l’International Security Studies de l’Université Yale

L’organisme Equality Now martèle le même message et propose pour sa part une liste de 14 candidates à considérer pour succéder à Ban Ki-moon. « À la conférence sur les femmes de Beijing, en 1995, les gouvernements se sont engagés à développer des mécanismes qui favoriseraient la nomination de femmes à des postes de cadres supérieurs aux Nations unies. À l’époque, on avait fixé l’an 2000 comme l’objectif pour atteindre l’égalité homme-femme. Nous sommes en 2015, et l’ONU n’a toujours pas atteint ce but », peut-on lire sur le site d’Equality Now.

« Au cours des 10 dernières années, poursuit-on, à peine le quart des postes les plus élevés au sein de l’ONU ont été comblés par des femmes. »

Rappelons que le document de référence pour le choix d’un secrétaire général date de 1946 et stipule qu’un « homme de renommée » devrait occuper ce poste…

EST-CE RÉALISTE ?

Ces campagnes pro-femme ont-elles des chances d’aboutir quand on sait à quel point l’élection du secrétaire général de l’ONU est un processus complexe qui dépend de nombreux facteurs géopolitiques ainsi que de plusieurs jeux de coulisse ?

« La nomination d’une femme mérite d’être encouragée, mais on peut se demander si c’est faisable, reconnaît Jean-Philippe Thérien, professeur au département de science politique de l’Université de Montréal. Il serait logique que ce soit une femme, mais il serait étonnant que le critère du genre soit celui qui pèse le plus lourd dans la balance », estime ce spécialiste des organisations internationales qui rappelle que l’ONU a la réputation de bouger lentement.

Le professeur Thérien rappelle en outre que le candidat doit obtenir l’approbation d’au moins 9 des 15 pays membres du Conseil de sécurité, dont celle des cinq membres permanents, ce qui comprend la Russie et la Chine. « Le défi sera de trouver la bonne candidate qui ne sera pas bloquée », souligne-t-il.

PERSONNALITÉ DISCRÈTE RECHERCHÉE

« Les États membres n’aiment pas que le secrétaire général soit une personnalité trop forte, observe pour sa part Jocelyn Coulon, directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM de l’Université de Montréal. Ils vont favoriser des diplomates de carrière plutôt effacés. Ils ne veulent pas que le secrétaire général leur fasse de l’ombre. »

Ce spécialiste des affaires internationales rappelle que lorsque Boutros Boutros-Ghali a voulu obtenir un second mandat, les États-Unis, estimant qu’il prenait beaucoup de place, ont exercé leur droit de véto pour l’en empêcher.

« On voudra quelqu’un qui ne fait pas trop de vagues, une personnalité politique discrète, croit lui aussi Jean-Philippe Thérien. Et on cherchera quelqu’un qui connaît bien le fonctionnement interne de l’ONU. »

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